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Dans la cour d'école

Violences passées sous silence

Sophie Payeur

Les médias rapportent sans hésiter les fusillades et autres événements tragiques perpétrés en milieu scolaire. Loin des projecteurs, des milliers de drames invisibles se perpétuent en silence dans les cours d'école.

Journaliste, recherchiste et croqueuse de bouquins, Geneviève Martel est une curieuse inassouvie. Cette blonde de 32 ans aux yeux bleus bien branchés sur le monde n'a pas la langue dans sa poche. Elle a aussi la mémoire longue.

Geneviève Martel a connu deux réalités de la violence psychologique : celle de la victime puis celle de l'agresseur.
Geneviève Martel a connu deux réalités de la violence psychologique : celle de la victime puis celle de l'agresseur.

Jeune fille rêveuse et élève douée, Geneviève souhaitait, au début de son adolescence, devenir populaire. «Les élèves faisant partie des cercles po­pulaires étaient dispersés dans d'autres classes de sixième année. Je tâchais de m'en faire des amis, mais une fille de ma classe a pensé qu'il fallait m'exclure.»

L'hostilité s'est d'abord manifestée de manière sournoise, puis elle est devenue plus grande. «La fille en question avait deux faces : en classe elle était amicale, mais à l'extérieur elle était dénigrante. Je me souviens de la fête d'anniversaire à laquelle elle avait invité toute la classe. Lorsque je lui ai demandé à quelle heure elle souhaitait nous voir, elle m'a informée que je n'étais pas invitée. Je l'avais toujours traitée de manière amicale; ça m'a fait mal.»

Le dénigrement s'est accentué de manière insidieuse. La fin de l'année a été explosive. «La dernière journée de ma sixième année, la fille a volé une de mes chaussures. J'ai dû courir à la grandeur de la cour de récréation pour la récupérer. N'en pouvant plus, j'ai fini par sauter sur elle! J'ai gardé son air narquois comme souvenir de ma dernière journée au primaire.»

L'histoire de Geneviève, c'est celle que vivent quotidiennement des milliers de jeunes écoliers. Alors que les agressions physiques ou armées demeurent relati­vement rares dans les écoles du Québec, la violence psychologique est monnaie courante. En apparence banal — voire normal — ce type d'agression figure parmi les formes de violence les plus souffrantes. «Ce ne sont pas les évé­nements tragiques qui minent les climats scolaires et qui causent le plus de vic­times, affirme Claire Beaumont, qui dirige l'Observatoire canadien pour la prévention de la violence à l'école. Ce sont les petites violences quotidiennes.»

Ces «petites violences quotidiennes» sont ce que le milieu scolaire appelle des «actes de gravité mineure» : l'humiliation, le mépris, les insultes, le chantage, le dénigrement, l'ostracisme, le rejet et, plus récemment, la cyber­agression. Ces actes sont peut-être moins spectaculaires que ceux qui portent atteinte à l'intégrité physique, mais ils sont tout aussi préoccupants car ils ruinent progressivement la santé mentale. «Dans certains cas, ça pousse les victimes à abandonner l'école, parfois même à se suicider, signale la profes­seure Pierrette Verlaan, du Département de psychoéducation de l'UdeS. Le suicide d'une jeune adolescente de Colombie-Britannique, en novembre 2000, victime pendant longtemps d'ostracisme et de harcèlement de la part d'autres élèves, montre jusqu'où peut aller cette souffrance.» Cette jeune fille était la cible d'une forme particulière d'intimidation, une agression invisible qui accentue la vul­nérabilité de la victime de manière inquiétante : la violence indirecte, telle que vécue par Geneviève.